a) Bref aperçu du système fédéralL’origine étymologique du mot fédéralisme et fédération vient du latin foedus qui veut dire alliance, foedus étant de la même famille que fides qui veut dire foi, confiance. Il désigne une alliance d’Etats qui veulent en former ensemble un seul mais avec une claire distinction de compétences dévolues à différentes instances. Selon Dehousse
[1], le fédéralisme est un régime qui naît de l´histoire, approprié aux besoins de chaque peuple et qui, par conséquent, présente un grand nombre de variantes. Il n’existe donc pas un seul model de fédéralisme qui puisse servir de costume uniforme. Il y a un fédéralisme que l’on pourrait appeler classique soit celui des Etats-Unis ou de la Suisse ; il y a le fédéralisme allemand, mexicain, canadien, et le dernier en date en occident, le belge. L’ancienne Union Soviétique et l’ex Yougoslavie étaient aussi des fédérations, tout comme le Nigeria.
C’est pour cette raison que, plutôt que penser copier un model de fédéralisme pour la RDC, il vaut mieux approfondir les expériences politiques du pays, sa situation particulière et chercher à donner vie à une fédération innovatrice proprement congolaise et qui parte de son histoire, des identités qui la constituent et de ses circonstances spécifiques.
S’il est vrai que le fédéralisme apparaît de diverses manières à cause des conditions qui sont à son origine, il y a cependant dans toutes ses versions un fond commun. Ce fond commun c’est la manière dont la souveraineté politique et l’exercice du pouvoir est partagé entre le centre et les institutions de la périphérie. Ce fond commun c’est l’équilibre entre l’unité de la fédération entière et la diversité régionale, la nécessité d’un centre de pouvoir et les mécanismes de sa limitation réelle à partir de la périphérie. C’est cette sorte d’équilibre garanti qui fait du fédéralisme un régime qui cadre avec la démocratie. Selon Dehousse encore, « chaque fois qu’une dictature arrive au pouvoir, son premier geste est de balayer le fédéralisme qui est essentiellement et profondément l’expression de la démocratie. De même, il est une forme supérieure de gouvernement parce que les pouvoirs locaux qui l’instituent sont incontestablement au courant des besoins locaux bien mieux que le meilleur gouvernement central. Il est une application, une manifestation plus raisonnable, plus définie du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dont il ne s’agit pas de contester la justesse ».
Facteurs qui influencent la formation d’une fédération d’Etat
Parmi ces facteurs, l’on compte d’abord la similarité historique qui unit différentes communautés politiques avec une identité politique propre, des traditions propres à préserver. C’est en fait ce qui s’est passé aux Etats-Unis où il y avait nécessité de former un gouvernement central fort mais en même temps la détermination de préserver, défendre et promouvoir les libertés individuels et celles des Etats fédérés. Nous avons dans ce qu’on appelle Federalist Papers une explication détaillée, par Alexander Hamilton, James Madison et John Jay, de la manière dont la convention établissant la fédération a veillé à défendre l’équilibre entre les deux instances d’exercice de pouvoir dans l’intérêt de l’Etat Fédéral, des Etats Fédérés, et des citoyens. La même chose est arrivée en Allemagne où la tradition régionale a été conservée sans porter préjudice à l’appartenance et la construction d’un même pays, malgré l’interlude terrible des années du nazisme.
Un deuxième facteur intervenant dans la genèse d’un système fédéral c’est l’existence d’une menace externe ou l’aspiration à un rôle plus effectif dans les affaires internationales, principalement en relation avec les Etats limitrophes. Une voix et un poids diplomatique plus forts sont nécessaires pour négocier des traités et faire des alliances. Ce facteur a hâté la formation de la fédération allemande face aux autres puissances européennes de la fin du XIX siècle. Il en est de même pour la toute puissance Union Européenne d’aujourd’hui. La justification de ce facteur est bien simple : l’autosuffisance dans la gestion des affaires publiques n’est jamais viable, elle conduit vers l’isolement de l’Etat qui s’y enferme et les résultats sont néfastes pour ses populations.
Le dernier facteur est celui qui concerne l’extension géographique. En fait, pratiquement tous les pays à territoire étendu ont adopté le fédéralisme comme système politique : les Etats-Unis à la fin du XVIII siècle, le Canada en 1867, le Brésil en 1901, l’Australie en 1901, le Mexique en 1917, et l’Inde en 1947. La raison ici n’est pas tant la superficie matérielle. Les Etats géographiquement grands ont nécessairement une grande diversité culturelle avec des traditions régionales fortes et bien distinctes. Ceci requiert une gouvernance adéquate, c’est-à-dire une répartition du pouvoir au-delà des limites d’un système unitaire. A la diversité culturelle correspond aussi une diversité ethnique et souvent, une diversité de ressources économiques. Dans ces conditions précises, le fédéralisme a prouvé être le système qui tire le mieux profit de cette diversité qui, en son sein, cesse d’être une occasion de division. Au Canada, par exemple, la diversité ne tient pas seulement aux traditions, elle également linguistique. En Inde, la diversité, en tout cas au Punjab et au Kashmir tient aussi à la religion.
Caractéristiques d’une fédération d’Etats.
Deux niveaux de gouvernement autonomes : Il s’agit du gouvernement central (ou fédéral) et le gouvernement local (fédéré). Tous les deux ont des pouvoirs respectifs et aucun des deux ne peut empiéter sur les pouvoirs de l’autre. C’est généralement des pouvoirs incluant, au moins, une capacité législative, une autorité exécutive, une capacité de revenu avec un degré certain d’indépendance fiscale. La capacité juridictionnelle de chaque niveau de gouvernement est spécifiée clairement. L’autonomie territoriale des entités fédérés constitue une façon effective d’assurer la protection et la promotion des minorités dans leurs territoires, même si leurs droits sont aussi protégés par des dispositions constitutionnelles relatives aux droits et libertés des citoyens.
Constitution écrite : les pouvoirs et compétences de chaque niveau de gouvernement sont définis par une constitution écrite, qui est le cadre juridique organisant les relation entre l’Etat Fédéral et les Etats Fédérés. Leur autonomie respective est assurée par le fait que ni l’un, ni les autres peuvent modifier la constitution unilatéralement. Par exemple, aux Etats-Unis, les amendements à la constitution requiert les deux tiers des deux chambres du Congrès et les trois quarts des assemblées des 50 Etats fédérés. En Australie et en Suisse, tout amendement à la constitution doit être soumis à un referendum.
Un garant neutre de la Constitution : les provisions constitutionnelles sont interprétées par une cour suprême de justice qui. Elle a aussi le pouvoir d’arbitrer les conflits entre les deux niveaux de gouvernement. L’implication de l’appareil judiciaire dans le système de réglementation s’est avérée bénéfique parce qu’elle intervient d’une manière neutrale empêchant ainsi sa politisation.
Relations institutionnelles : elles sont établies de manière à assurer la participation démocratique de la périphérie (les Etats Fédérés) au processus décisionnel. Ceci est rendu possible par la structure bicamérale de la législature au sein de laquelle la haute chambre représente les intérêts des Etats Fédérés.
Les avantages du système fédéralEn observant ces caractéristiques, on voit que, de toute évidence, l’avantage le plus important du système fédéral sur toute forme de centralisation et/ou décentralisation, c’est que la périphérie a une voix et un rôle politique claire, sûr et dynamique, définis et garantis par une constitution que le pouvoir fédéral ne peut pas modifier sans la participation du pouvoir fédéré. Les Etats fédérés jouissent d’une gamme de pouvoirs autonomes et ont une représentation directe au niveau central à travers un mécanisme dynamique. Il y a une coopération entre les deux niveaux, pas une subordination, même sur le plan financier. Un deuxième avantage non moins négligeable est la limitation du pouvoir central par une autre gamme de « check and balance » exercé au niveau régional pour la protection de la liberté des citoyens. Finalement, le système fédéral s’est montré, jusqu’à maintenant le seul capable de résorber les tensions et divisions pour maintenir une unité et une cohérence autrement impossibles dans des sociétés fragmentées. C’est pour cela qu’il constitue le système le plus adéquat à des pays à grande variété ethnique comme la RDC.
Les fédérations ont déjà démontré qu’elles sont capables même de vaincre les séparatismes puisque l’autonomie des identités y est respectée. Elles font également face aux contraintes cause par des immigrations massives mieux que les autres systèmes étatiques. Heywood pense que ceci est même le meilleur mérite de la fédération aux Etats Unis
[2].
Il est aisé de voir en ce denier avantage la bouée de sauvetage pour la RDC qui partage sa frontière avec neuf pays différents. Bien entendu, le problème ici n’est pas une question d’immigration mais bien la conséquence des frontières virtuelles de la conférence de Berlin. L’identité des populations frontalières trouverait automatiquement sa place, ce qui enrayerait les tensions qu’un système centralisé et/ou décentralisé crée en appliquant l’exclusion sous prétexte de nationalisme. Il est donc possible d’en finir avec les amertumes et les ressentiments divisionnistes hérités du temps colonial et entretenus par les dictatures successives. Bien plus il est possible d’en finir sans recourir à la guerre dont les conséquences n’ont pu et ne peuvent être que néfastes.
b) Différence entre fédéralisme et décentralisation
En bref on peut comprendre que le fédéralisme, étant un système qui instaure le partage équilibré de l’exercice de pouvoir entre deux ordres politiques régional et central, puisse assurer mieux la souveraineté constitutionnelle des deux ordres d’une manière complémentaire et collaborative. C’est d’ailleurs pour cette raison que ce système suscite toujours l’intérêt politique. Il ne divise pas la souveraineté, il respecte plutôt son titulaire originel, le peuple, quand il assure constitutionnellement la participation active de la périphérie de manière indépendante. Il empêche donc le danger de voir cette souveraineté du peuple usurpée par un pouvoir central exclusivement et, encore moins par une seule personne et son cacique politique. En plus il y a des preuves tangibles qui démontrent empiriquement combien ce système offre les conditions légitimes d’une plus grande stabilité politique, une confiance entre citoyens et le dépassement de possible clivages culturels. En fait le fédéralisme est basé sur un pactum foederis ou accord dans la volonté de vivre et se développer ensemble.
La décentralisation quant à elle relève toujours d’un système unitaire, c’est-à-dire un système dans lequel le pouvoir souverain est investi en une seule institution politique qui décide tout. Mis à part le cas « pathologique » des dictatures et les régimes totalitaires, l’institution la plus unitaire est, par exemple, le parlement britannique et son autorité législative absolument unique. Il fait et défait les lois discrétionnairement, ses pouvoirs ne sont ni codifiés ni contrôlés par une constitution écrite. Il n’y a pas d’autres instance qui puisse les mettre en cause. Les institutions locales peuvent être organisées, réorganisées et même supprimées avec la même discrétion. Le terme anglais « devolution » est devenu l’expression la plus exacte de la décentralisation.
Il implique le transfert par le gouvernement central de certains pouvoirs à des institutions régionales
[3]. Heywood explique que le verbe anglais « devolve » veut dire passer ou transférer les pouvoirs et devoirs d’une haute autorité à une qui lui soit inférieure.
La différence entre cette décentralisation détaillée et le fédéralisme consiste dans le fait que même si leur juridiction territoriale est similaire, les entités décentralisées n’ont pas et ne participent pas de la souveraineté qui est exclusivement du ressort du gouvernement central. Leurs compétences et leur pouvoir dérivent et sont conférés par le pouvoir central qui en garde le monopole. Dans sa forme la plus faible, à savoir la décentralisation administrative comme celle consacrée dans la nouvelle constitution de la RDC, « devolution » veut dire que les institutions régionales sont appelées à mettre en pratique des décisions et règlements pris ailleurs. Dans sa forme législative, les assemblées régionales ont un certain pouvoir de décision mais il est limité par la loi sur la décentralisation qui les institue. Le pouvoir des entités décentralisées reste ainsi à la merci du pouvoir législatif qui peut le révoquer discrétionnairement.
La différence entre les deux systèmes se situe donc au niveau de leur source de pouvoir et pas seulement au niveau de leurs compétences respectives
[4]. Dans le système fédéral le pouvoir des Etats fédérés est constitutionnel et ne peut pas être modifié sans leur participation. Dans un système décentralisé et même fortement décentralisé, il est délégué par le pouvoir central aux entités régionales par une loi, et donc il peut être facilement retiré, modifié, en tout cas manipulé par un parlement central sans que les assemblées régionales puissent y résister. Le control que le pouvoir central conserve de cette manière réduit toujours la souveraineté et finit par soumettre les populations locales à des contraintes lourdes. Il ne faut pas négliger aussi la voie facilement ouverte par et pour la corruption de même que la manipulation des institutions régionales à partir du centre. Ceci peut fomenter ce que Heywood appelle un système de colonialisme interne
[5] au sein duquel la périphérie géographique est exploitée aisément par le centre.
Il explique, par exemple, que le nationalisme en Ecosse et le pays de Galles en Grande Bretagne vient, en partie, du fait de la subordination économique de ces régions vis-à-vis de l’Angleterre, surtout du sud-est de l’Angleterre. Cette subordination s’accentue à cause de la dépendance de ces régions sur l’industrie lourde anglaise, le chômage, et le niveau bas des salaires dans ces régions. Les assemblées décentralisées n’ont pas de pouvoir législatif.
Des éléments de différence qui précède, l’on peut conclure les avantages du système fédéral trois points important : son adaptabilité plus flexible aux exigences de l’économie devenue globale, la complémentarité des relations institutionnelles qui permettent une consultation, coopération et coordination sur un terrain réel et sa capacité d’intégrer l’unité et la diversité pour une plus grande stabilité de l’ensemble. Ces avantages montrent bien pourquoi le système fédéral permet plus de participation démocratique et plus de responsabilité publique.
[1] Dehousse, F., Discours de Liège du 20 octobre 1945. Mr. Fernand Dehouss (1906-1976) fut professeur à l’université de Liège et associé à l’Institut de droit international. Il representa la Belgique aux Nations Unies et fut minister de plusieurs gouvernement belges., concrètement celui de Gaston Eyskens de 1968-1971 considéré comme ayant jeté les bases du féderalisme en Belgique. Son discours cite est également considéré comme une base doctrinaire du fédéralisme au moins en Belgique.
[2] Heywood, A. (2002), p.164: “The genios of US federalism , for instance, was perhaps less that it provided the basis for unity among the 13 original states, and more that it invested the USA with an institutional mechanism that enabled it to absorb the strains that the immigration exerted from the mid-nineteenth century onwards”
[3] Heywood, A. (2002), p. 167
[4] Watts, R.L., (1998), Federalism, federal political systems, and federations, in Annu. Rev. Polit. Sci., 1:117-37
[5] Heywood, A, (200), p. 171