Résolution 2098 : Le choix du sang
Le schéma adopté le 28 mars dernier par l’organe suprême des
Nations Unies porte le risque sérieux de l’embrasement de la sous-région des
Grands Lacs.
En optant pour la gestion militaire de la crise dans l’Est de
la République démocratique du Congo, les grandes puissances qui sont derrière
le Conseil de Sécurité éloignent en réalité son règlement et feignent ignorer
ses causes profondes.
Un coup de force mené par la France peu avant la présidence
rwandaise du CS, qui court-circuite les efforts de pacification du ‘Processus
de Kampala’ et cache le piège d’une guerre fratricide entre troupes africaines.
Mais le choc des armes n’est pas inéluctable…
« Nous sollicitons la Tanzanie de
se retirer de la résolution de la Communauté de développement de l’Afrique
Australe (SADC) de faire la guerre dans l’Est de la République démocratique du
Congo (RDC). Nous sommes convaincus que la confrontation militaire risque de
provoquer une guerre régionale. Notre position est confortée par trois
éléments : primo, l’Ouganda et le Rwanda risquent d’être entraînés en une
guerre inutile, secundo, l’Ouganda et le Rwanda, et probablement la Tanzanie,
en vont payer des graves conséquences humanitaires ; tertio, en cas
contraire, nous allons prendre la responsabilité d’une prolifération massive
des armes dans la sous région ».
Représentant de Kampala au sein de l’East African
Legislative Assembly (EALA), Fred Mukasa Mbidde a proposé un texte à soumettre
aux membres de cet organisme pendant la session du 16 avril dernier, dans
lequel on invite la Tanzanie à ne pas faire un choix opposé à celui de l’East
African Community et de l’EALA -dont il est membre.
Les deux institutions régionales préconisent une
solution pacifique de la crise dans l’Est de la RDC, avec les deux
belligérants, le mouvement du 23 Mars et le gouvernement de Kinshasa, assis à
la table des négociations.
En même temps,
la ministre des Affaires étrangères de la République du Rwanda, Louise
Mushikiwabo, qui assurait la présidence d’ une réunion du Conseil
de sécurité des Nations Unies consacrée à la prévention des conflits en
Afrique, a déclaré : « Nous ne pensons pas qu’une action militaire soit la solution aux
problèmes dans l’est de la RDC, donc nous considérons cette brigade comme pouvant
être un moyen de dissuasion, une présence nécessaire mais elle doit être
complétée par d’autres aspects, et en premier lieu sur le volet politique du
conflit ».
Si
le schéma de la Résolution 2098, adoptée par le Conseil de Sécurité (CS) de
l’ONU, assume en connaissance de cause le risque concret d’un bain de sang et
du déclanchement d’une confrontation armée entre les Etats des Grands Lacs,
avec massacres à large échelle de populations civiles et poursuite d’actes
d’extermination de la communauté Tutsi, les
forces qui s’y opposent font surface et haussent la voix. Elles suggèrent une
démarche plus typiquement africaine -c'est-à-dire par les biais du dialogue-
pour la règlementation des conflits dans le continent et notamment dans l’Est
de la RDC.
Ainsi, la guerre n’est pas
inéluctable dans les Grands Lacs et il est possible de faire échec au choix du
sang posé par la 2098. Et cela même si les forces qui sont visées du M23 se
préparent à la résistance, et elles doivent s’y préparer car il en va de leur
survie et de celle de leurs familles.
La sauvegarde à outrance -comme à l’époque
précédente la chute de Mobutu- du régime dictatorial et sous tutelle
internationale de Joseph Kabila et la volonté farouche d’en découdre avec le
groupe dirigeant en place à Kigali sont les mobiles principaux du lobbyng
français au Palais de Verre, qui a porté au passage en force d’une Résolution cachant,
dans son application préméditée, le spectre au symbole terrible d’une guerre
fratricide entre troupes africaines.
Miracle du ‘multilatéralisme’, les soldats d’une
nation issue de la nuit de l’Apartheid vont faire le coup de feu contre leurs
frères qui, depuis 2004, mènent un combat sans défaut pour doter la RDC d’une
élite visionnaire et compétente, en mesure de faire bénéficier le peuple des
immenses ressources du pays, d’éliminer les pratiques néfastes de l’exclusion
régionale et de la discrimination ethnique.
Les militaires de l’armée de la République Sud-Africaine
vont-ils ainsi se faite tuer, et tuer, dans les forêts et les collines
volcaniques du Kivu pour que leurs dirigeants puissent ensuite quémander pour
leur pays une place de membre permanant au sein du CS de l’ONU ?
Ou pour se faire instrument subalterne de la politique
de Paris, dont la puissance dévastatrice a déjà provoqué des centaines de
milliers de victimes dans la sous-région inter-lacustre ?
Analysons. La 2098, rédigée par la France et adoptée le
28 mars dernier, prévoit la création d’une brigade d’intervention spéciale sous
l’autorité de la Mission onusienne en RDC et censée neutraliser les combattants
du M23 en rébellion contre Kinshasa.
Dans sa lettre, qui
comporte pour la première fois dans l’histoire des NU un mandat offensif, avec
droit explicit de tuer de la part des Casques Bleus, il y a le tournant majeur
qui va dorénavant affecter les relations internationales, notamment les
rapports entre l’Afrique, cible principale des nouvelles guerres d’agressions,
et les maîtres du monde, anciens et nouveaux.
Et où est-ce qu’on va
expérimenter cette nouvelle démarche aux senteurs d’Empire et qui est en
flagrante contradictions avec la mission attribuée à l’ONU à l’époque de sa
création ?
On part en guerre exactement,
dans une région endeuillée depuis bientôt vingt ans par une série tragique
d’événements. Où, ceux qui sont derrière cette résolution ont déjà provoqué un
génocide et des guerres à répétition suite au soutien poursuivi aux forces
génocidaires.
Les raisons ? L’une, d’ordre général, concerne
l’urgence du contrôle du territoire planétaire (et de la destruction de toute
force qui s’y oppose) par les nouvelles instances du gouvernement mondial
supranational. L’autre, plus spécifique, nous renvoie à la politique française
dans la sous région.
En fait, avec
l’Opération Turquoise, Paris n’avait pas réussi à stopper la marche victorieuse
du Front patriotique rwandais pour arrêter le génocide, ni à créer un Hutuland
dans la partie occidentale du Rwanda sous son contrôle. Mais il avait réussi à
protéger et à réorganiser les milices des massacreurs après leur exfiltration
dans l’Est de la RDC.
Depuis, il continue
sa guerre secrète contre le Rwanda et les Tutsi per RDC interposée.
En août dernier,
lorsque la France présidait le CS, elle rédigea une déclaration dans laquelle
on lisait que les 15 membres de l’instance suprême des NU « réitèrent leur ferme condamnation de tout appui
extérieur apporté au M23 et demandent à tous les pays de la région de coopérer
activement avec les autorités congolaises pour le démantèlement et la
démobilisation du M23 ».
Groupe d’experts onusien à l’appui, la campagne contre
le prétendu soutien rwandais au M23 et la diabolisation de ce dernier se met en
route, avec le but de l’éradication de la rébellion et d’un affaiblissement
décisif de l’élite du Village Urugwiro, sinon d’une nouvelle menace militaire
ourdie avec la complicité des FDLR et de l’armée de la RDC.
Les onze pays de la
Conférence internationale de la région des Grands Lacs (CIRGL) fleurent le
piège et installent le ‘Processus de Kampala’ qui assure au début la cessation
des hostilités et le commencement des pourparlers de paix.
La SADC s’y
associera, avec des attitudes contradictoires. Dans ses rangs, l’Angola prône
la solution pacifique du conflit de l’Est, alors que la RSA assume la posture
belliciste, tout comme la Tanzanie, qui est également membre de la CIRGL et de
l’EAC.
Le bras de fer entre
CIRGL et CS démarre. La première se pose en facilitateur du dialogue entre M23
et gouvernement et propose à la fois la constitution d’une Force internationale
neutre (FIN) pour garantir le cessez-le-feu réel et le contrôle des frontières
de la RDC.
Probablement une
erreur, même si l’idée d’une solution et d’une gestion africaines de la crise
était juste. On constate en effet aujourd’hui que le concept de la dite Force a
pu être manipulé et envisagé en sa version offensive par les faucons au sein du
CS, de la SADC et aussi de la CIRGL, où ils sont pourtant minoritaires.
Néanmoins, l’option guerrière ne fait pas l’unanimité
et, parmi les cinq membres permanents du CS, La Russie et la Chine ont soulevé
maintes objections.
La tentative de
court-circuiter le ‘Processus de Kampala’, toujours en cours, n’est visiblement
pas du goût de tout le monde et les raisons évoquées pour s’attaquer au M23 se
sont au fur et à mesure révélées fallacieuses.
Les « causes
profondes » de la crise de l’Est -une politique de division et
l’établissement de l’infection négationniste et génocidaire avec l’imposition
d’une élite prédatrice à la tête d’un Etat patrimonial en RDC- sont superbement
ignorées, même si elles sont souvent agitées comme un slogan vide, lorsqu’on
continue à attribuer la crise à l’ingérence rwandaise, dont des preuves
concrètes n’ont jamais été exhibées.
Pourquoi enfin viser
le M23, dont la conduite dans la guerre est exemplaire autant que son
administration des populations sous son contrôle, lorsque des dizaines de
groupes armés sévissent et commettent des atrocités au quotidien aux Kivu,
comme au Maniema, dans la Province Orientale et au Katanga, que le banditisme
se développe avec la généralisation de l’insécurité et le délitement du tissu
social ?
Visiblement, les
chancelleries ont d’autres objectifs que la paix en RDC.
Mais, après la Côte d’Ivoire, la Lybie et le Mali, cette guerre criminelle est
à éviter. Et il est possible de l’éviter tout en continuant à se battre pour
que le rêve congolais d’une élite à la hauteur des défis posés se concrétise
dans le temps.
Luigi Elongui