1. Introduction
a) Des limites du concept d’Etat Moderne appliqué à la réalité africaine du point de vue historique
Le panorama de l’Afrique contemporaine laisse croire que celle-ci est encore, au moins à bien d’égards, à la recherche de son indépendance. La chute des idéologies qui ont entretenu la guerre froide a révélé avec insistance que la forme d’Etat-Nation héritée de la fameuse Conférence de Berlin ne répondait pas aux réalités africaines. En effet, le nombre d’années d’indépendance correspond presque au nombre de conflits endémiques qui ont ravagé le continent depuis l’époque de la décolonisation jusqu’ à ce jour, quoi que les guerres africaines d’aujourd’hui n’ont plus grand-chose en commun avec les rebellions des années 1960. Le continent totalise à lui seul, le plus grand nombre de populations réfugiées et/ou déplacées. Le sous-développement chronique qui en découle ressemble à un gouffre béant, bien qu’il tienne aussi à d’autres facteurs graves comme le manque d’une éducation adéquate, l’irruption de la globalisation et ses multiples effets, le cancer de la corruption, et les maladies pandémiques pour n’en citer que quelques uns.
La mention des conflits est faite dès à présent car c’est à première vue la conflictualité en Afrique qui a menacé très tôt la forme de l’Etat-Nation. Mais avant d’examiner d’autres raisons de la faiblesse de cette forme de gouvernance politique, il faut immédiatement disqualifier deux sortes d’opinion à propos de la violence en Afrique : celle qui veut faire croire que la violence constitue un élément intrinsèque à la culture africaine d’une part ; et d’autre part celle qui soutient que la colonisation a été le pire pour l’Afrique et sans elle, le continent serait en paix.
Ces deux opinions constituent des extrêmes dangereux pour l’identité africaine. Il faut aussi ajouter que ceux qui veulent juger l’Afrique en appliquant les paradigmes du passé occidental ou le modèle de la démocratie libérale n’ont pas toutes les données pour un diagnostic correct et, encore moins, le remède aux complexes problèmes du continent. En effet, ni les solutions inspirées par les théoriciens de la liberté depuis la révolution française, ni celles concoctées par la révolution bolchevique ne peuvent offrir aujourd’hui une clé d’interprétation pour résoudre les problèmes de la Polis africaine. Autrement dit, la logique gauche droite n’est d’aucun secours.
Le poids des conflits, vue à partir de la virtualité des frontières coloniales, n’a pas seulement déstabilisé l’Etat, on pourrait dire qu’il était déjà à la veille de la vague des indépendances, un obstacle majeur à sa formation. De telle sorte qu’il serait légitime de penser qu’il n’y a eu d’Etat que dans la forme et pas dans le fond. Il faut tenir compte du fait que les conflits ont été fomenté par les pouvoirs coloniaux qui, pour régner, suivaient le conseil de Machiavel de diviser. On pourrait pousser la considération jusqu’à affirmer que l’Etat est encore à bâtir au sud du Sahara, exception faite de l’Afrique du Sud, un cas bien particulier. Mais pourquoi l’Etat-il est encore à bâtir?
Aujourd’hui il faut le dire ouvertement puisque l’acception même du concept d’Etat et ce qu’il est devenu en Afrique après 1960 sont une preuve évidente de son inexistence au sens stricte. Il s’agit du concept d’Etat moderne consolidé en Europe occidentale surtout avec les monarchies française, espagnole et suédoise, il y a quelques quatre ou cinq siècles. Ses caractéristiques marquantes sont généralement de grandes armées, un pouvoir économique résultant de taxes et impôts systématiquement prélevés sur la population et une bureaucratie fortement centralisée capable d’exercer une autorité souveraine sur un territoire relativement immense[1].
Sous cette forme, l’Etat s’occupait de l’ordre, de la sécurité, des lois, et de la protection du droit de propriété, ce qui lui a, du reste, permis d’offrir les conditions nécessaires à un accroissement économique sans précédent. C’est cette dimension formelle de l’Etat décrite ci haut qui fait croire que l’Afrique a hérité du temps colonial la forme d’un Etat moderne. Redéfini avec plus de force par la philosophie rationaliste, celui-ci était, cependant, né des conditions spécifiquement européennes qui, d’une manière ou d’une autre, l’ont plutôt exigé.
Le débat contemporain sur la crise de l’Etat est en train de démontrer qu’il portait probablement en soi les limites de son universalisation. D’après certains, il est fort possible que les problèmes sociopolitiques propres à différents contextes géographiques, en ce moment, soient dus au fait d’avoir négligé d’approfondir cette réalité[2]. Voyons en bref en quoi consistait cette réalité à l’origine du concept d’Etat, ce qui permettra d’en montrer les limites, et ainsi poser les prémisses d’une analyse déblayant le terrain pour proposer une structure de l’Etat répondant aux particularités du Congo/Zaïre.
[1] Fukuyama, F. (2004), State-Building. Governance and World order in the 21st Century, Cornell University Press, p.15 (La traduction du titre en français serait: La construction de l’Etat. Vers un nouvel ordre mondial au 21me siècle). C’est dans ce livre où Francis Fukuyama a théorisé son concept de « Failed States », des Etats qui ont échoué, un peu comme des Etudiants recalés aux examens pour n’avoir pas bien appris leurs sujets. Les examens en fonction desquels il juge avec dureté les Etats sous-développés de l’Afrique sub-saharienne sont les critères de développement tracés par les bailleurs de fond. Quoi qu’il ait raison sur bien de points concernant le leadership, il se pourrait qu’il n’ait pas vraiment pensé qu’il n’y avait pas, en Afrique, d’Etats à proprement parler. Il est hasardeux de remettre en question une autorité comme la sienne. Néanmoins, pour de raisons de cohérence historique, il est opportun de revisiter ce concept.
[2] Cruz, A., (1999), Ethos y Polis. Bases para la reconstruccion de la filosofia politica, Eunsa, Pamplona, p. 44. (La traduction de ce titre en français serait : Ethos et Polis. Fondements pour une reconstruction de la philosophie politique)
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