Wednesday, 10 September 2008

Fédéralisme: Vers une restructuration du système étatique au Congo/Zaïre (II)

b) Les étapes du processus constitutif de l’Etat

On distingue généralement trois phases dans ce processus[1] : la progressive concentration du pouvoir politique qui s’érigea en souverain, souvent en souverain absolu ; le constitutionalisme libéral qui naquit avec l’objectif de limiter le pouvoir absolu de la première phase au plan interne en le divisant et en spécifiant ses compétences ; et finalement la phase de la démocratisation du pouvoir par laquelle, à travers la participation universelle une nouvelle légitimité est conférée à l’Etat et, avec elle, le mandat d’une intervention sociale majeure.

La première phase caractérisa le Bas Moyen-âge avec une résurgence du droit romain qui suggérait aux princes la revendication pour eux-mêmes de la plenitudo potestatis[2]. Une fois qu’ils l’acquéraient, ils l’exerçaient au détriment des pouvoirs locaux, jusque là exercés par des seigneurs féodaux ; et au détriment des pouvoirs extérieurs, normalement exercés soit par un empereur, soit par un pape. En fait ces deux niveaux de pouvoir finirent par disparaître en laissant l’hégémonie à la nouvelle entité, et le roi devenait un monarque. Dès lors le pouvoir s’exerce à partir d’une seule source qui a le monopole de la chose publique sur tout le territoire et sur tous les citoyens.

Un trait marquant de cette phase, c’est la relation souverain-sujet qui crée l’uniformisation de tous les sujets, les citoyens, ouvrant ainsi la voie au processus de démocratisation dans sa dimension égalitariste. L’Etat ainsi formé est incapable d’assimiler les différences dans la condition politique de ses membres qui ne sont que ses sujets (égaux), auxquels il a aussi tendance à imposer un système légal uniforme.

Le facteur ayant le plus déterminé cette évolution des choses semble avoir été la guerre. En cette période l’effort de guerre visait à soumettre, sur le plan interne, les divisions et résistances intestines d’une part ; et d’autre part il visait à accroître la capacité d’affronter avec succès une possible agression de l’extérieur. C’est dans ce contexte que Machiavel a élaboré sa théorie de la souveraineté comme étant le monopole de la guerre réduisant donc l’essentiel de l’Etat à une situation marginale et exceptionnelle, plutôt qu’à la tache d’une gestion ordinaire des affaires publiques qui justifie toute gouvernance. La concentration d’un pouvoir pareille suscita la nécessité de le limiter en le soumettant à la loi. Et c’est de cette manière qu’apparut la division du pouvoir en trois, mais pour des raisons fonctionnelles en lieu et place des raisons personnelles ou même territoriales.

Le constitutionalisme libéral, quant à lui, limitait ce pouvoir par d’autres moyens rendus possibles par la distinction entre l’Etat comme une entité différente de la société civile composée des gouvernés, citoyens libres. Leur liberté et leurs droits individuels et inaliénables devenaient la limite du pouvoir souverain.
L’Etat prit ainsi une structure légale, qui comptait déjà avec son monopole de la force, et maintenant aussi le pouvoir de garantir la liberté économique de laquelle il va tirer tant de profit pour contrôler les gouvernés. Mais les gouvernés sont membres d’une société civile autonome qui ne peut être confondue avec l’Etat lui-même. C’est comme cela que l’économie de marché (libre) a pu se développer. Il faut seulement ajouter que l’économie étant l’apanage des bourgeois, la poursuite progressive de leurs intérêts allaient influencer la politique et conséquemment le fonctionnement de l’Etat consistant en une fonction de control et de sécurité. L’identité du citoyen individuel dans ce cadre est, comme on l’a vu plus haut, une identité uniformisante car l’ordre social nouveau n’est pas un ordre intégrateur, mais plutôt accumulateur.

Le mouvement démocratique intervint pour mettre en question la légitimité de l’Etat libéral surtout dans sa légalité, dont l’établissement n’était pas participatif. Si seul un petit groupe avait le pouvoir de décréter la loi, alors l’égalité devant cette loi n’était que formelle. En plus cette loi, matériellement parlant ne représentait que les intérêts de ce petit groupe avec un préjudice certain pour le reste de citoyens.

C’est donc pour réclamer une juste représentation des intérêts de tous que la démocratie égalitariste va s’imposer. L’égalité devant la loi devrait s’accompagner d’égalité en matière de participation politique. On en vint alors à revendiquer l’universalité de la participation politique et la démocratisation de l’Etat dans un esprit purement libéral. Le changement que la démocratisation introduisait n’était pas une modification de l’Etat constitutionnel libéral mais son vrai accomplissement, c'est-à-dire sa progressive transformation vers un Etat libéral de bien être social appuyé par les théoriciens de l’interventionnisme de l’Etat comme Marshall, Keynes, etc.

La configuration de l’Etat se montre, à partir de cette étape, comme une entité différente de la société elle-même. Celle-ci est autonome mais elle n’a pas de lois fixes car elle est le domaine de pluralisme. Alors elle se trouve en situations de conflit qu’elle ne peut pas résoudre seule, ce qui implique l’intervention de l’Etat dans ses fonctions régulatrices.
La société aussi se dessaisit souvent des responsabilités publiques, ce qui requiert une réponse de la part de l’Etat, réponse qui, compte tenu de l’autonomie de la société, finit par consister en control et supervision au lieu d’une action configuratrice et intégrative. Logiquement, le résultat final est un appareil étatique gigantesque de control et l’autonomie du social n’est en réalité qu’une complète bureaucratisation, c'est-à-dire, tout le contraire d’une vraie autonomie. Le gigantisme est prouvé par l’omniprésence de l’Etat dans toutes les activités humaines : de l’éducation à l’économie, de la sécurité sociale à la santé, de l’administration interne à la politique étrangère… L’Etat façonne, contrôle, supervise, réglemente, légifère, autorise, proscrit, même dans le domaine privé comme le mariage, naissance, liberté religieuse etc.
[1] Ibidem, pp.44-45
[2] Plenitude de pouvoir

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