Vers la guerre totale ?
Les rafles de Goma sous
les yeux de la MONUSCO dévoilent la convergence de forces locales, sous
régionales et internationales autour de la solution militaire de la crise dans
l’Est de la RDC. Mobilisée par une idéologie raciale et par des intérêts
obscurs, cette coalition vise le pouvoir de Kigali au risque d’une
conflagration générale et d’une épuration ethnique dans les Grands Lacs
« Il ne
sera pas question de philosopher. Le M23 dans sa forme de groupe armé
politico-militaire et force négative doit cesser d’exister. Le M23 doit déposer
les armes et certains membres de ce mouvement qui ne sont pas coupables doivent
suivre un programme d’intégration sociale…… Un processus sans fin (des
pourparlers) empêcherait la Brigade de
faire son travail » (Raymond Tshibanda, ministre des Affaires
étrangères de la RDC, le 11 juin à Kampala, Ouganda ).
« Nous allons utiliser tous les moyes :
pas seulement la force d’intervention, mais tous les moyens disponibles pour
aller à la poursuite de ceux qui commettent des crimes contre les populations
civiles »
(Général Alberto Dos Santos Cruz, commandant brésilien de la MONUSCO, le 12
juin à Kinshasa).
« La MONUSCO ne traite pas avec le M23, le
MONUSCO ne collabore pas avec le M23, la MONUSCO ne s’adresse pas au M23. Donc,
il faut que ceci soit clair, car nous n’avons aucune relation avec le M23, qui
par ses pratiques, continue toujours à semer la violence dans les territoires
qui sont sous son contrôle » (Lieutenant-colonel Félix Basse, français, porte parole
militaire de la MONUSCO, le 13 juin à Goma, au Kivu, dans l’Est de la RDC).
Emblématiques et très orientées politiquement, les
déclarations de ces trois hauts officiels de l’Etat rdcongolais et de la
Mission des Nations Unies en RDC (MONUSCO) sont tombées dans le moment de majeure
intensité des rafles de prétendus sympathisants du M23 dans la ville de Goma,
pour la plupart des ressortissants Tutsi congolais. Elles confirment la
convergence d’une coalition de forces congolaises, sous régionales et
internationales autour d’un projet de guerre totale qui, depuis l’Est de la
RDC, pourrait embraser le Rwanda voisin.
Les
ratissages, dans les rues et dans les maisons de Goma, mais aussi de Bukavu, et
la déportation à Kinshasa de ressortissants congolais, en majorité appartenant
à la communauté banyarwanda, accusés de connivence avec le mouvement
révolutionnaire du M23, s’inscrivent dans la logique de l’épuration ethnique et
de la diabolisation d’un groupe humain censé porter la responsabilité des
conflits, des atrocités et des dévastations qui ravagent le Kivu depuis 20 ans.
Leurs
objectif est également (comme cela fut le cas le 20 mai, lors de l’attaque de
l’armée régulière, les FARDC, contre la rébellion à Mutaho) de pousser le M23 à
riposter sur le plan militaire, pour ensuite l’acculer au rôle supposé de
‘force négative’, et de provoquer une réaction diplomatique vigoureusee de la part
du Rwanda, pour en démontrer subrepticement ses accointances avec le mouvement
dirigé par le général Sultani Makenga et le président Bertrand Bisimwa.
La France, les experts de l’ONU et les honorables
correspondants
Ces
opérations aux allures de véritables pogroms -démarrées il y a une quinzaine de
jours selon la Radio Okapi de la MONUSCO- se sont déroulées en présence des
Casques Blues, dont le nouveau chef venait pourtant d’affirmer que la
protection des populations demeure la fonction primaire de son mandat. Elles ont
été l’œuvre d’une cellule spéciale des services de renseignements militaires des
FARDC qui a été créée à Goma pendant l’été 2012 pour fabriquer des preuves
attestant le soutien de Kigali au M23. Selon nos sources à Goma, cette cellule,
dite T2 du lieu où le siège de la sécurité militaire se trouve, est dirigée par
Kalev Mutond -le tout puissant patron de l’Agence nationale de renseignement
(ANR), sorte de Gestapo congolaise. Elle est à l’origine, parmi ses autres
forfaits, du faux témoignage des six prétendus soldats rwandais démobilisés et censés
avoir servi dans les rangs du M23 lors des premiers combats d’avril-mai 2012.
La cellule a aussi collaboré avec un très controversé groupe
d’experts des NU dirigé par Steve Hege, depuis reconnu comme sympathisant des
rebelles hutu rwandais et anciens génocidaires des FDLR. Le panel est à
l’origine du fameux ‘addendum’ (S/2012/348/Add.1) du 26 juin 2012, dont le but
était de prouver l’implication de Kigali dans la naissance du M23. Dans le
texte même, on ne fait pas mystère d’avoir utilisé les informations venant des
renseignements de la RDC. Et ce n’est pas un hasard non plus que, quelques
temps après, le 3 août, le représentant de la France au Conseil de Sécurité rédige
une déclaration dans laquelle les quinze membres de ce dernier « réitèrent leur ferme condamnation de tout
appui extérieur apporté au M23… et… demandent en outre à tous les pays de la
région de coopérer activement avec les autorités congolaises pour le
démantèlement et la démobilisation du M23 ». Suivant l’allusion au
soutien prétendu de Kigali à la rébellion, l’appel à l’intervention musclée des
Etats voisin de la RDC donne -déjà à l’époque- toute la mesure du risque de l’escalade
militaire ou même de la conflagration régionale pris par l’instance onusienne
sous influence française.
Le processus de Kampala
Si la
stratégie concoctée à Paris en liaison avec le Département onusien des missions
de maintien de la paix (DPKO), également sous commandement français, n’a pas
abouti rapidement, cela est dû à l’entrée sur la scène diplomatique des pays de
la Conférence international de la région des Grands Lacs (CIRGL) qui imposent
la solution négociée de la crise entre Kinshasa et le M23. Ils se battent pour
l’application du principe de la solution
africaine aux problèmes africains, mettent en place les pourparlers de Kampala
entre les deux parties et optent pour la formation d’une Brigade internationale neutre à envoyer à l’Est de la RDC avec une
fonction dissuasive. Depuis, le bras de fer s’installe entre le CS et la CIRGL,
le premier essayant à tout prix d’absorber le processus de Kampala, entamé par
la deuxième en vue d’un règlement pacifique de la crise. Pour ce faire et dans
le but de torpiller les efforts de paix, l’Elysée décide de donner une
impulsion aux déjà très bonnes relations avec la Tanzanie, membre influent de
la CIRGL et aussi de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC).
Cette dernière avait entre-temps fait son apparition dans le jeu diplomatique à
soutien de la CIRGL, mais avec une attitude plus belliciste, à cause de la
présence, comme pays membre, de l’Afrique du Sud, allié de taille de Kabila.
Les bonnes œuvres de Kikwete et la « révolution
onusienne »
Le
21 janvier dernier, le président tanzanien Jakaya Kikwete se rend à Paris à la
rencontre de Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères. Au menu
de la discussion, la crise en RDC est l’enjeu principal de la relation
bilatérale. Les Tanzaniens se verront ainsi attribuer le commandement de la Brigade spéciale d’intervention, version
agressive, making war, de la Brigade internationale neutre de la
CIRGL/SADC, dont le déploiement, en discussion à partir de la rentrée 2012, a été formellement établi par la fameuse
résolution 2098 du CS (S/RES/2098), du 28 mars. Un acte qui marque l’étape d’une
véritable révolution. Pour la première fois dans l’histoire de l’ONU, un mandat
offensif est confié aux Casque Bleus avec la tâche de traquer et démanteler un
adversaire bien ciblé, de surcroît l’une des parties en cause d’un conflit
auquel on devrait au contraire trouver une issue négociée.
Sur les 3000 soldats affectés à cette force, on fixe que mille
seront Tanzaniens, mille Sud-africains et mille Malawites. Le général tanzanien
James Mwakibolia en est le patron établi, mais moult observateurs pensent que
la direction réelle des opérations sera plutôt du ressort des barbouzes
français qui, fin avril, ont posé leurs valises à l’Hôtel Linda de Goma. Le
mêmes qui ont été dernièrement aperçus par nos correspondants à Goma, dans les
premières patrouilles de la Brigade,
pas trop loin des lieux où les rafles anti-Tutsi ont eu lieu.
On
sait aussi que, quelques semaines après le
meeting de janvier à Paris, la commission de l’armée tanzanienne ayant en
charge la mission de la Brigade spéciale
invite à Dar-Es-Salaam les hautes hiérarchies des FDLR -impliquées dans le
génocide 1994 au Rwanda- pour qu’elles apportent leur expertise et leur
contribution directe sur le terrain dans les combats à venir contre le M23.
Cela fait bientôt neuf ans en effet, que ces anciens Interhamwe et ex-FAR se
battent contre le même mouvement, hier appelé Congrès national pour la défense
du Peuple, le CNDP de Laurent Nkunda, aujourd’hui M23.
Au cœur de l’option guerrière, les génocidaires
Par
conséquent, nul ne s’étonnera si, pendant le sommet de l’Union Africaine (UA)
du 26 mai à Addis Abeba, Kikwete affirme, premier chef d’Etat à le faire,
que le Rwanda doit négocier avec les FDLR pour une solution globale de la crise
dans les Grands Lacs. Facile de prévoir, à la aune de cette attitude, et vues
toutes les relations nouées, que les opérations de la Brigade évolueront sur le terrain avec le soutien des FARDC et des
FDLR, ces deux dernières ‘travaillant’ déjà ensemble depuis des années. Il est
aussi évident que cette coalition -France, Tanzanie, MONUSCO, FARDC, FDLR- décèle
un conglomérat de forces extrémistes, animées par une idéologie négationniste,
rwandophobe et anti-Tutsi, avec des composantes qui cultivent depuis belle
lurette le rêve malsaine de porter la guerre jusqu’à Kigali, et une idée
macabre de solution finale dans
l’esprit de certains.
Les rafles de Goma sont un signe troublant de cette guerre
totale qui s’annonce. Quand
les effectifs de la Brigade, appuyés
par FARDC et FDLR, s’attaqueront aux positions du M23 qui délimitent le
territoire sécurisé par ce mouvement et densément peuplé par des communautés en
majorité rwandophones, de quelle protection de populations civiles pourront
alors se vanter les officiels onusiens après avoir pris le responsabilité
d’avoir mis en place un tel engrenage meurtrier ? A Rumangabo, où se trouve la plus importante
base militaire du M23, les combattants du mouvement politico-militaire sont
déterminés. Ils ont le moral, les moyens pour se défendre, la conviction d’être
dans le juste et de n’avoir rien à perdre. Prêts à payer le prix du sang pour
vivre ou mourir sur la terre de leurs ancêtres.
Ailleurs au Kivu, les esprits ont été surchauffés par les faucons locaux, comme le gouverneur
Paluku, et on entend des propos évoquant la sinistre Radio des Mille Collines
qui diffusait les messages génocidaires en 1994. Bâti
sur la haine de l’autre et sur la prédation, le pouvoir de Kabila vacille, la
Brigade et ses alliés historiques des FDLR étant ses derniers remparts, avec la
France qui tire les ficelles.
Sentant
monter la pression militaire, Kigali choisit le silence. Attitude prudente et
responsable. Mais le profil bas sera-t-il toujours payant face à la poursuite
de l’escalade ?
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