Wednesday, 11 July 2012

QUI A PAYE LES BANDITS? BONNE QUESTION

Un article de Pole Institute envoyé par un ami kinois:

GOMA : LES VIEUX DEMONS DE LA STIGMATISATION REFONT SURFACE, LE POUVOIR A LA RUE !
Rwandais ou Tutsi : la preuve par le nez !
La journée du lundi 9 juillet 2012 a été caractérisée par des actes d'une barbarie qu'on croyait à jamais dépassée, après les années de violence qui ont caractérisé la province du Nord Kivu dont la guerre en cours entre les FARDC et le M23 constitue malheureusement une des nombreuses métastases. En effet, les jeunes de la ville de Goma, essentiellement les conducteurs des taxis motos communément appelés motards dans cette ville, ont vite pris le contrôle des ronds-points de la ville (Signers, TMK et Birere, Corniche) ; d'autres ont investi la frontière entre le Rwanda et la RDC ; d'autres enfin se sont dirigés vers les centres du pouvoir (Gouvernorat et Région militaire).
Une agitation coordonnée, malgré des revendications qui allaient dans tous les sens. Certains manifestants ont déchiré les effigies de Joseph Kabila, vestiges de l'élection de novembre 2011. Ceux qui ont eu le malheur de se trouver sur le chemin de cette vague avec des képis de campagne à l'effigie du Président ont été molestés et leur couvre- poussière détruit sur place ; une femme de Birere a été contrainte de se promener nue après que son pagne à l'effigie présidentielle lui a été arraché. Pour ces jeunes, il est reproché à Joseph Kabila son incapacité à écraser les mutins du M23 et même une certaine collusion avec Kigali. Quant à ceux qui se sont dirigés vers la 8ème Région militaire, ils réclamaient des armes pour aller au front si les FARDC étaient incapables de faire face à l'ennemi. Mais les actes les plus emblématiques se passaient sur les routes et dans des coins ciblés de la ville. A l'Université de Goma, une structure qui regroupe plusieurs institutions d'enseignement supérieur fréquentées aussi par des étudiants rwandais qui font la navette entre les deux pays, les Rwandais ont été extirpés des salles et amenés manu militari au poste frontière à bord des Jeep de la Police Nationale Congolaise (PNC). Au Rond Point TMK était établi un check point tenu par des motards ; les passagers étaient obligés de descendre des bus et des voitures et à chaque fois que quelqu'un était soupçonné d'être Tutsi, il était malmené avant d'être remis aux éléments de la PNC qui se chargeaient de son transfert à la Grande Barrière. Dans cette chasse au faciès, certains Congolais ont même été " déportés par erreur " parce qu'ils avaient la taille anormalement étirée ou le nez un peu trop fin !
 
Le pouvoir complice ou dépassé par les événements ?
 
Qui a payé les motards ?
Rien ne laissait, en apparence, présager pourtant que cette journée allait être celle de la chasse à l'homme et que des populations entières seraient traquées du simple fait de leur faciès. En apparence seulement parce que la mobilisation ne s'est pas faite spontanément, et nous avons appris que les motards ont été dotés en carburant la veille - 5 litres chacun- comme à chaque fois que l'on s'apprête à les utiliser comme griots pour un homme du pouvoir ou pour des marches de protestation ou de destruction, selon le bon vouloir du " bailleur ". Les motards ne font rien pour … rien. Qui a payé la note de leur journée chômée ?
Le rôle flou de la PNC
La PNC a joué un rôle ambigu au cours de cette journée, en étant des auxiliaires des manifestants qui violaient pourtant visiblement les libertés les plus fondamentales des citoyens et commettaient des voies de fait sur des personnes qui n'étaient coupables de leur appartenance supposée à l'ethnie Tutsi. En effet, au lieu de réprimer cette barbarie, la PNC assurait le transport des victimes vers la frontière rwandaise avant de revenir se positionner auprès des jeunes en furie, dans l'attente de la cargaison suivante !
Où était donc le Gouverneur Paluku ?
Le Gouverneur de la province du Nord Kivu, Julien Paluku, a déclaré en fin d'après-midi, qu'il avait appris que des jeunes manifestaient dans la ville et qu'ils s'en prenaient à une communauté. Tout en condamnant ce comportement, il mettait en garde les jeunes qui ne devaient pas tomber dans le piège de l'ennemi. Il affirmait par la suite que ces jeunes étaient manifestement infiltrés par le M23, parce qu'ils avaient osé s'en prendre aux effigies présidentielles !
Au moment où la ville était livrée au chaos de la rue, le Gouverneur était en conclave au Musée (le bureau du gouverneur) avec trois Ministres nationaux : celui de la Défense, celui de l'Intérieur et leur collègue des Affaires sociales. Peu avant le retour des Ministres à Kinshasa, qui devaient traverser toute la ville pour rejoindre l'aéroport, tous les check points ont été levés et la circulation a repris normalement ! Simple coïncidence ?
 
La Société Civile a-t-elle un rôle à jouer ?
Tous ces événements sont consécutifs à la série de revers subis par les FARDC sur le front de Rutshuru où ils ont perdu en quarante-huit heures les principales agglomérations du territoire de Rutshuru dont les plus emblématiques sont Bunagana, tombé le vendredi 6 juillet après de violents combats et Rutshuru centre, le chef-lieu récupéré par le M23 sans combat après la fuite des forces gouvernementales. Depuis la chute de Bunagana et le refuge vers l'Ouganda de plusieurs centaines des forces spéciales des FARDC, les mutins semblent ne rencontrer aucune résistance et les populations sont profondément frustrées par cette énième contre-performance d'une armée nationale jugée inefficace. Les manifestations des motards et autres jeunes traduisent ainsi le désarroi face à cet état de fait, un désarroi facilement manipulable par tous ceux qui cherchent à allumer le feu, en surfant sur les oppositions entre les communautés ethniques, une stratégie qui souvent été mise en œuvre au Kivu. 
 
Dans ce contexte délétère, le rôle de la Société civile est évidemment primordial, à condition que cette Société civile-là soit véritable et consciente de ses responsabilités. Au Nord Kivu, il existe bien un bureau de la Coordination de cette Société civile dont les animateurs sont tellement impliqués émotionnellement dans la guerre en cours qu'ils gênent plus qu'ils n'aident le pouvoir auquel ils sont alliés. Ainsi, réagissant à une question d'un journaliste de Radio Okapi le 9 juillet 2012 sur la chute probable de la ville de Goma, son Président a déclaré que cette ville serait déjà tombée si les mutins en avaient eu envie car, a-t-il ajouté, " le gouvernement provincial est infiltré, l'ANR est infiltré, la DGM est infiltrée, les FARDC, la PNC sont infiltrées… ". Quelques jours plus tôt, le même Président de la Société civile avait invité les populations des provinces du Kivu à se déverser au Rwanda et laisser ainsi lesdites provinces aux Rwandais. Une déclaration qui a embarrassé le gouverneur de la province du Nord Kivu qui a avoué l'avoir appris par la presse et promis d'inviter l'intéressé à s'en expliquer devant lui.
 
Responsabilité collective
Les dernières évolutions à Goma et même un peu partout en RDC nous remémorent un passé récent, où les communautés étaient fragmentées, le pays morcelé et la confiance entre les populations en lambeaux. On avait cru que ces pages sombres étaient complètement rangées et que nous en avions tiré des leçons pour ne pas continuer à sombrer à chaque crise que connaît le Nord Kivu et le pays en général. Les moments sont durs, c'est vrai, et l'heure est grave. Des milliers et des milliers des Congolais ont été déversés par cette nouvelle guerre -inutile et qu'on aurait pu nous éviter- dans des camps de réfugiés en Ouganda et au Rwanda et dans des camps de déplacés à l'intérieur du pays où ils vivent dans des conditions exécrables. Nos militaires s'entre-tuent de part et d'autre de la ligne de front, avec ou sans l'accompagnement des étrangers. D'autres ont dû se réfugier en Ouganda, où leur sort dépend maintenant de la diplomatie des deux pays. A Bunagana, les habitants continuent une vie en balancier depuis plusieurs mois déjà, en passant la journée en RDC et la nuit en Ouganda. Après une première législature 2006-2011 essentiellement consacrée à des opérations militaires à l'Est de la RDC, celle qui a commencé en 2011 démarre sous les mêmes augures. Et au lieu d'en étudier froidement les causes (endogènes et exogènes), on s'épuise encore et toujours à rechercher les coupables. C'est facile, mais c'est contre-productif. Et notre responsabilité collective est engagée !
Pole Institute10 juillet 2012

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